Ultr’Ardèche, analyse d’un ultra bonheur…

Ultr'ardeche 2012, sommet col au km75Le samedi 12 mai 2012,  j’ai couru la première édition de l’Ultr’Ardèche, course de 212km sur route avec 4200m de dénivelé positif répartis sur 11 cols. C’est un format similaire à la fameuse Badwater qui a lieu chaque été dans la vallée de la Mort en Californie et que j’ai eu la chance de courir en 2010. Même format mais climat différent : chaleur écrasante et vent brûlant aux USA et températures contrastées et vent glacial sur les hauteurs ardéchoises, où la fameuse burle souffle fort fort.


Le profil de l'Ultr'ArdecheAprès 30 années de disette, l’épreuve marquait le retour en France de ces grandes épopées sur route "à gros peloton", celles taillées pour les coureurs  solides qui aiment l’aventure humaine et l’incertitude à fort goût qui l’accompagne. L’occasion était trop belle pour ce que le France (et même plus…) compte de coureuses et coureurs d’ultra et tout le gratin était au rendez-vous. De quoi  faire pâlir nombre d’organisateurs et rappeler que la personnalité et le charisme d’un organisateur valent 1000 fois mieux que des lots d’arrivée mirobolants…  Une semaine après la fin de l’ère bling-bling, je trouvais une nouvelle raison de croire en mes semblables.

arrivée Ultr'Ardeche 2012A la lecture des curriculum vitae des coureurs et à l’étude du parcours, je m’étais assigné deux objectifs ambitieux et difficiles mais possibles si tout allait bien : finir dans le top10 et en 27 heures (plus ou moins une heure…). J’ai eu le plaisir d’atteindre ces objectifs en finissant en 27h18 à la 9ieme place. Mais j’ai surtout cueilli un immense bonheur qui va me porter encore quelques temps.

Comme je me suis totalement enivré de chaque instant de cette épreuve, je ne peux pas décrire la chronologie de cette douce ivresse. Mais ce bonheur dont je parle, je l’ai construit pas à pas, jour après jour, foulée après foulée. Je l’ai bâti sur des choses heureuses et d’autres plus sombres. Mais de chaque chose, on se nourrit, on apprend. Alors pour ne pas oublier la recette de ce bonheur-là, je vous en livre quelques ingrédients…

Des racines…

Au-delà de ma quête profonde dans ces aventures que j’ai fini par dessiner par petites touches de plus en plus profondément, les dernières années, derniers mois ont fini de m’ancrer dans la course, dans la vie parmi les autres, parmi ceux que j’aime. Je me sens en vieillissant –car oui, ça s’appelle ainsi- plus serein, plus à l’affut du bonheur, ouvert aux bons moments que je sais désormais saisir. Depuis la Badwater 2010, mon plaisir de courir est chaque jour toujours plus grand. Chaque foulée me réjouit quelque en soit l’endroit. Ne croyez pas que je fasse de la méthode Coué, mais je sais que la santé, la liberté, l’estime de soi, la dignité sont des joyaux à soigner, à polir.

Et puis il y a un an de cela, Nathalie a connu des soucis de santé. C’était sérieux et inquiétant. Nous avions en mémoire le voyage californien de l’été précédent avec la peur de ne plus jamais revivre une telle road movie. Le noyau familial et amical s’est serré et mes racines ont plongé un peu plus profondément dans ce que je craignais de perdre. On regarde désormais vers une autre Badwater avec sans doute la conscience de l’exception de tels moments.

ultradeche 2012, col de l'ArdéchoiseDans le même temps, côté travail, j’ai pu basculer sur des activités qui me plaisent et m’épanouissent. Contribuer au développement de services environnementaux utilisant le spatial pour offrir aux citoyens une meilleure compréhension d’une planète à préserver, voilà qui me mettait en phase avec mes aspirations et mon attachement à notre Terre. Je suis devenu un et un seul, en pleine intégrité. Non plus un coureur, puis un agent du Cnes, puis un passionné du débat, non, je peux chaque seconde de ma vie mettre en cohérence tout ce qui m’est cher.  Voilà qui offre une paix sereine au fond de soi…

Alors bien sûr, tout n’est pas linéaire et sans nuage. Pour avoir goûté à tous les sens du terme la préparation mentale sous la houlette amicale de François Castell en 2010, je suis devenu pratiquant et fan de cette démarche. Ainsi j’ai poursuivi dans cette voix avec Agnès Delattre près de Toulouse qui propose une approche globale où notamment l’identification d’objectifs et la visualisation sont des piliers sur le chemin du succès. Même si je pense toujours pratiquer la course comme une démarche spirituelle et contemplative, j’ai fini par convenir que c’était aussi un terrain de jeu extraordinaire, celui du jeu de la course. Ce jeu que nous adorions enfant dans la cour d’école. Je n’en suis donc pas devenu un compétiteur forcené à tous prix, mais joueur et pugnace, j’ai fini par l’assumer…

Plusieurs fois par semaines, les séances d’étirements Mézière et la sophrologie/visualisation que j’y adossais étaient l’occasion de remercier mon corps du chemin qu’il m’autorisait à faire en quasi lévitation, dans la facilité. J’ai ainsi fini par entendre les signaux que mes jambes surtout envoyaient. A aucun moment durant la préparation, je n’ai eu l’impression de me faire violence. Un et un seul, corps et esprit en phase, encore et toujours…

Alors voilà, bien au clair sur le chemin devant moi, la veille de la course, j’ai goûté avec délectation la petite réunion d’initiés, de potes, d’Hommes. Sans appréhension, enraciné dans mes choix, j’étais prêt et joyeux. Il n’y avait plus qu’à…

Des lieux…

Les décors étaient de … Remerciez d’urgence le décorateur ! Canonisez ce gars-là, de toute urgence. Le con ! ultr'aredeche beauté des paysagesIl a bien réussi son coup. Bon je dis pas, on lui ferait remonter vent dans le nez, le col de la Fayolle chaque nuit, il apporterait peut être quelques retouches. Mais, bon sang, quel panorama !... Toutes ces fleurs, leurs odeurs qui enivraient, les lumières, le jeu des nuages et du soleil, les points de vue sur les vallées. Ah, que c’était beau. A plusieurs reprises, je me suis arrêté la gorge nouée pour embrasser ces paysages. J’aurais voulu m’en gaver, les avaler pour mieux pouvoir les partager avec ceux que j’aime. Et comme durant la Cannonball 2007, j’ai repensé à ce texte d’Henry Miller que j’aime beaucoup…

"N'aimons point la terre d'un amour pervers. Cessons de jouer les récidivistes. Cessons de nous massacrer les uns les autres. La terre n'est pas une tanière, et pas davantage une prison. La terre, c'est le Paradis, le seul que nous ne connaîtrons jamais. Nous le comprendrons le jour où nos yeux s'ouvriront. Inutile d'en faire un Paradis, c'est le Paradis. Nous n'avons qu'à nous rendre dignes de l'habiter. L'homme nanti d'un fusil, l'homme qui a le meurtre dans le coeur est incapable de reconnaître le Paradis même si on le lui montre."


Alors oui,  celui qui ne sait pas voir peut toujours regarder. Le bonheur n’est sans doute pas une chose innée. Prenons une pause, la Vie vaut mieux qu’une course.
Mais l’instant d’après les descentes en trajectoires incitent à la bagarre, un vrai toboggan…   Les panneaux routiers évoquent en moi des souvenirs d’enfance. Ceux d’un passionné de rallyes automobiles et qui, adolescent, suivait fébrilement le rallye de Monté Carlo sur les ondes de RMC et dans Echappement. L’étape de l’Ardèche était réputée et redoutée. Moi qui n’ai jamais assisté à ce rallye, je me souviens des récits des anciens, les Andruet, Darniche, Ragnotti, Nicolas, racontant l’enfer de Burzet et des congères formées par la burle.  J’ai maintes fois entendu parler de la tarte offerte devant le restaurant la Remise à Entraigues. Alors des noms comme Lachamps, la Fayolle, Burzet, Moulinon, trouvent de l’écho en moi. De vagues souvenirs dont l’émotion tient plus aux années passées et à la patine du temps. A 18 ans, j’ai fait quelques courses en navigateur sur une Simca Rallye II. Durant des reconnaissances sur route ouverte, un accident fatal au conducteur quelques temps avant cela m’avait filé la trouille. Je n’ai jamais pu aller au-delà de cette peur et sans regret aujourd’hui, je prends les trajectoires qui descendent sur Burzet sans CO2, sans bruit…

Le silence, voilà qui faisait plaisir à entendre. Même si rapidement le vent l’a malmené en magnifiant le coté sauvage des lieux. L’eau des cascades offrait son gazouillis ou mettait une touche de blanc au décor en vertical. En Ardèche, la Terre est belle… La Terre, l’Air, l’Eau, nous avions tout. Il n’y avait plus qu’à…

Un équilibre entre simplicité, empirisme, adaptation et plaisir…

J’ai couru en Ardèche six semaines après les 24 heures de Portet durant lesquels j’avais dépassé les 200km malgré une fièvre tenace quelques jours seulement avant l’épreuve. J’étais alors confiant. J’avais donc de bonnes jambes, de bonnes sensations et surtout une base solide.
ultradeche-km95Mais l’enchainement des deux épreuves n’était pas trivial. C’était même assez fin et l’écoute de son corps, du plaisir et de l’envie était primordiale.
A l’issue du 24 heures, place à une semaine de franche coupure puis une semaine de reprise souple avec 4 petits footings et 4 bonnes séances de marche nordique avec Nathalie.
La semaine suivante a été la plus solide et structurée, 6 sorties avec une forte dominante de côtes et surtout un bloc de 3 jours avec 3h15, 2h15 et 1h30, le tout à allure Ardèche avec alternance de 14’ marche/1’ course. La quatrième semaine a été encore un peu chargée avec une sortie de 32 bornes pour tester tenue et matériel.
Les deux dernières semaines furent consacrées à la descente d’entrainement pour arriver frais.

Durant ces 6 semaines, j’ai tout particulièrement soigné trois aspects primordiaux : hydratation, étirements/sophrologie et préparation mentale.
Le 12 mai à 6 heures du matin, j’étais fin prêt et 100% confiant sur la ligne de départ.

Durant la course, simplicité a été le maître mot. Je ne regarde pas le chrono, je respecte mes périodes de marche augmentant la fréquence de celles-ci dans les longues ascensions (4’ course/1’ marche).
Je ne me suis jamais inquiété de la vitesse, j’avais bien travaillé l’allure spécifique en préparation et surtout mon seul souci, mon seul guide était de garder la sensation à chaque seconde de produire un effort que je saurai tenir confortablement durant plus de 24 heures. Et cela a marché dans le plaisir et sans douleurs particulières. Incroyable !...

ultradeche-km198Peu après le km130, le sommeil m’a rattrapé. Forts de notre expérience sur la Badwater, mes accompagnateurs m’ont aidé à dormir durant 10’ à deux reprises. J’ai ainsi pu repartir du col au km170 en pleine forme pour finir les 42 deniers kilomètres en trombes, passant de la 15ieme à la 9ieme place. Quel pied ! Je jouais à la course…

Pour la nourriture, j’ai fait selon mes goûts, jamais de synthétique ni poudre ni gel. Du plaisir à boire et manger tout le long : sirop de menthe, boisson salée en continu (avec du simple sel de table), Pepsi à l’occasion, figues, bananes, gâteaux de riz et semoule, pâtes, pain, saucisson, jambon de pays, soupes et une cuillère de miel quand pointait l’hypoglycémie… Simplissime non ?

ultradeche-km205A l’occasion dans les longues montées en courant, je visualisais dans ma tête les films d’Anton  Kuprika montant à toutes petites foulées. Pour me dynamiser, je passais à un film où des jeunes américains font de la balançoire sur une arche géante à Arches National Park. La musique du film est fun et entrainante, le groupe s’appelle "Don’t stop, Won’t stop", tout un programme.

Il n’y avait plus qu’à… Je n’appréhendais rien de particulier. C’est pour cela que la fluidité m’a accompagné. Mais pas qu’elle…

Des Hommes…

Vous rajoutez à ces ingrédients trois copains complices à l’assistance. Je voyais dans les yeux de  Carlos, débutant en ultra et venu à la découverte, le plaisir à suivre cette course. Ça m’a bien boosté… Philippe a régulé, amorti tous les soubresauts visibles ou non. ultradeche-km160Ceux de l’esprit, ceux du corps. Soignant, à l’écoute, ouvert et généreux, il est un pilier. Ça m’a apaisé… Jean-Pierre a été THE compagnon notamment à vélo dans les 80 derniers kilomètres. Notre duo est à maturité. Paroles inutiles, bruit des pieds, de la respiration, regards lui suffisent à lire en moi. Et que dire du plaisir à partager cette route avec ce compagnon de longtemps ? Ça m’a entrainé…

Mais sans Laurent Bruyere, sa folie à se lancer dans ce projet,  sans son équipe, nous n’aurions pas vécu cette aventure. Merci à cette équipe de bénévoles touchants d’humanité.  Merci au maire d’Alboussière partout sur le parcours et dont l’étonnement presque candide nous poussaultradeche-arriveeit chaque fois. Que dire de son père, maire de Saint Pierreville, km160, qui avait mis à disposition sa maison pour le ravitaillement. C’est la première fois que je m’arrêtais en course dans une cuisine, servi par des dames aux petits soins. Je m’en souviendrai longtemps avec émotion.
Merci aussi à mes compagnons de fortune, connus ou inconnus avant cette épreuve et qui ont éclairé les divers passages de cette route.

J’avais avec moi un autre passager. J’avais sa voix dans le fond de l’oreille. La voix si particulière de Serge Lévy, un incontournable dans le paysage athlétique français, qui nous a quittés la veille de Noel après un courageux et digne combat. Serge nous avait énormément aidés pour la Badwater, avec amitié et engagement. Son sourire nous manque.

Voilà, vous avez quelques ingrédients. Apportez les vôtres. Secouez le tout, et voilà un cocktail de 27 heures de bonheur(s) que je goûte encore avec délectation…

(photos Philippe Poinot & Cartier)