Millau 1994 : la course en musique...

Nombre d'entre vous doivent associer musique et course à pied. Pendant les sorties d'entraînement, parfois les courses des morceaux vous trottent dans la tête. A d'autres moments, vous êtes bien, vous écoutez un disque avec plaisir et vous surprenez vos pensées qui vous emmènent sur vos parcours favoris en courant avec une facilité déconcertante. Je suis comme vous et j'en ai usé.
De toutes évidences, musiques et course à pied ont ponctué, rythmé ma vie. A chaque période quelle soit triste ou heureuse est associée une musique, parfois une course ou un entraînement dont j'ai un souvenir précis. Inversement, à une course est associée une musique, un groupe, un chanteur ou une période.


J'ai pris conscience de cela vers l'âge de 10 ans. Mes parents ont fait un échange de maison durant le mois de juillet. Deux ans de suite, cette opération a lieu. Nous habitons la maison d'une famille de Voiron dans l'Isère pendant qu'elle occupe la villa familiale à Lacanau. Je garde de grands souvenirs de ces mois de juillet. La maison dont nous disposons est superbe. Du jardin à l'ombre des cerisiers, on découvre une vue incroyable sur le massif de la Chartreuse. Dans le séjour, il y a une chaîne Hi-fi, grande nouveauté pour moi et mes soeurs plus âgées.
Pendant que j'écoute Alain Souchon me raconter "qu'il a 10 ans et qu'il est bidon" sur un mange disque d'enfant, mes sours écoutent en boucle deux disques qui figurent depuis lors dans ma liste de favoris. Nous sommes en 78-79 et c'est avec un certain retard que l'album « L.A. Woman » des Doors et « Supertramp » de Supertramp arrivent chez nous.

De suite, tout concorde à me faire aimer ces disques, ces moments. Mon père m'amène voir le Tour de France en montagne au petit matin. Hinault commence son règne et me fait rêver. Les ballades en montagne succèdent aux courses du week-end et aux moments passés à regarder voler les premiers delta-planes. Mon père participe à la course de la Grande Sure, un périple en montagne de 52 kms alternant marche et course. Après ses premières et récentes incursions sur 100 kms, il est définitivement sellé sur son piédestal dans mon Panthéon de la course.
Alors forcément, tout s'entremêle. « Riders on the storm », la voix grave de Jim Morrison et celles incroyables de Supertamp sur « Maybe I'm a beggar » deviennent pour moi des hymnes à la course.

Dans le même temps, en suivant mon père à Belvès, j'ai joué le disk-jockey. Un vieux magnétophone sur le vélo distille alors du jazz et des musiques de westerns signées E. Morricone. Le fait est que passer le pont de Castelnau au son d' « Il était une fois dans l'Ouest » a quelque chose de curieux et assez fascinant. Je mets donc cette idée dans un coin de ma tête. Je la ressors en 1991.
A cette époque je partage mon temps entre la fac et le triathlon. Les primes d'arrivée mettent un peu de beurre dans les épinards et accessoirement il m'arrive d'aller travailler le soir au Krakatoa, une salle de Rock qui programme de superbes concerts et qui est tenue par mon presque grand frère Didier. Cela me vaut d'y croiser de super groupes : Gun Club, Katonoma, les havrais de Roadrunners, les bordelais de Kid Pharaon, Wet Furs et Noir Désir. J'ai alors trois vies en même temps et je les aime toutes. J'aime ces vies, les gens qui j'y croise et les excès qui vont avec.

Durant l'été, écoeuré d'une saison de triathlon un peu gâchée, je décide d'aller me ressourcer à Millau. C'est ma deuxième participation. Je passe la fin de l'été sur les triathlons et à préparer en dilettante le rendez-vous Millavois. Comme toujours lorsque j'aime un disque, j'écoute des heures durant le Live des Doors et les albums de Noir Désir.

En prévisions de Millau, je prépare des cassettes que mon suiveur mettra dans la deuxième partie. Ces airs raisonneront dans ma tête seulement... En effet, mon suiveur m'abandonne à mi-course et je finis seul à me chanter dans la tête ces musiques que j'aime. Je prends ainsi l'habitude d'utiliser la musique pour me motiver ou me concentrer. Selon l'objectif, j'adapte la musique. A cette période, je fais plutôt du court et c'est surtout le rock français qui donne dans le walk-man. Pourtant j'écoute de tout avec une préférence à la pop-rock des années 70 : les Doors bien sur, mais aussi Hendricks, les Who, Grace Slick (chanteuse des Jefferson Airplanes), Sweet Smoke et puis du classique, de la variété française. Quand je ne cours pas, je chante : en voiture, à la maison.

En 94, lorsque je repars à Millau j'emporte de nouveau de la musique et surtout un Disc-jockey capable de tenir sur un vélo. Sur cette édition qui sera pour moi très mouvementée (mais mon père pourrait le raconter...), la musique est mise en route dès la fin de la première boucle. Je ne suis alors pas au mieux et la voix grave de Morrison m'apporte un grand moment d'émotion.

"What are they doing in a Hyacinth house, What are they doing in a Hyacinth house to please the lions this day..."

Je suis alors transporté à plusieurs centaines de kilomètres et 15 ans en arrière. Je redeviens le petit garçon qui est ému par une musique et qui regardent les blocs clairs de la montagne en s'imaginant courir dessus des heures durant.

"And I'll say it again, I need a brand new friend ;
And I'll say it again, I need a brand new friend ;
And I'll say it again, I need a brand new friend ;
the end"

Le temps de traverser Millau , la musique est arrêtée.

En attaquant les côtes de la deuxième partie, c'est « Riders on the storm » qui m'accompagne.

"Girl, you gotta love your man,
Girl, you gotta love your man.
Take him by the hand,
make him understand..."

Le clavier de Ray Manzarek me cueille au sommet de la grande côte du 50ième kilomètre, le soleil rasant sur le causse est superbe et l'instant me paraît magique. A cette époque, le départ avait lieu dans l'après midi et la nuit n'allait pas tarder à s'annoncer. D'ici au bas de Tiergues, les morceaux des Doors se succèdent. Leur reprise de Gloria m'est presque fatale.

"Rap your legs around my neck,
Rap your arms around my feet,
Yeaaah, I gonna all right, ok,
Too late, Too late, Too late,
make me fell all right, Gloria..."

Ce morceau que j'adore me pousse à aller trop vite. Je le paye cash et je finis d'arriver à Saint-Rome au bas de Tiergues en silence. Le début de la montée m'est pénible et pour oublier les crampes, je refais donner la musique. Le morceau « le Zen émoi » de Noir Désir remplace les Doors. Les accords particuliers de ce morceau et les rifs de guitare me motivent incroyablement. La face entière de la cassette ne propose que ce morceau que j'ai enregistré plus de 10 fois à la suite. Les dernières paroles du morceaux « Ô sole mio » deviennent « Ô sole Millau » dans ma tête.

Quand la cassette est enfin tournée, « Charlie » succède au zen.

"Coeur dans les tempes
Et la tempête dans le ventre,
Charlie sort et se perd dans le dédalle des rues."

Je me confonds avec Charlie. J'ai le cour dans les tempes. Je vis quelque chose d'intense, de fort. Comme à chaque 100 bornes, j'ai l'impression de vivre une vie en une journée. Une vie en raccourci. Une vie en plus intense, avec sa palette d'émotions, de sentiments.

Le retour de Saint Afrique se fait de nuit. La douceur des voix de Supertramp se marie à merveille à l'instant.
Des centaines de petites lumières dans la nuit, des groupes que l'on croise, des morceaux de conversations que l'on capte, des bouts de vies que l'on vole.

"My father was a blind man,
My brother was a fool,
My mother told me God is love..."

Les envolées à la guitare que je n'ai retrouvées sur aucun autre de leurs albums, le rythme incroyable de la basse finissent de me faire adorer ce moment.
Passé le sommet de Tiergues, la fatigue rend la musique pénible à écouter et la fin se fait en silence. Je n'ai plus utilisé la musique en course depuis ce jour. Après réflexion, j'ai fini par penser que la réussite passait par la concentration et que la musique n'y contribuait pas. J'ai donc réservé la musique à d'autres moments. Je l'ai regretté cette année au plus dur de ma dérive à Millau. J'ai même depuis imaginé mon programme musical idéal au fil des kilomètres.

En écrivant cela j'écoute Frandol (chanteur des ex-Roadrunners). J'ai beau être encore jeune (quoique.) le morceau intitulé « 2x18 » me travaille un peu :

"Comme c'était cool,
Comme c'était frais,
Comme c'était cool,
Comme c'était frais,
Comme du venin dans le sang."

Sûrement l'histoire d'un mec qui a 2 fois 18 ans. C'est con, dans quelques jours, j'ai 36 ans.