Méthode Cyrano : Courir moins pour courir plus !

En deçà d’un certain niveau de performance, beaucoup de coureurs d’ultra, lors des compétitions, sont tôt ou tard contraints à la marche. En général arrivés aux limites de l’épuisement, c’est la seule allure qui leur permette de continuer à avancer.
Y a-t-il une justification à cette inéluctable dégradation de la vitesse et du geste, qui aboutit au final à ce que l’on cherche à repousser le plus longtemps possible : on marche parce qu’on ne peut plus courir !
Ce qui voudrait dire que pour cette population, majoritaire sur les courses au-delà du marathon, il y a forcément une alternance, dans des proportions variables, entre course et marche. Dans ce cas, est-il possible d’agir afin d’accorder une part prépondérante à l’allure la plus rapide, donc à la course ?

Première approche : le jusqu’au-boutisme

C’est la plus répandue ! Elle consiste à courir sans arrêt, du moins tant que c’est possible. Or, celui qui a déjà essayé cette technique a pu constater que vient toujours le moment, parfois dès la mi-course, souvent au deux tiers, où le corps se rebelle et refuse de continuer dans un rythme qui, probablement, n’est pas pour lui le plus naturel. En conséquence, la marche, souvent lente et pénible, toujours psychologiquement difficile à accepter, se substitue à la course. Celle-ci ne peut être reprise que pour des portions de plus en plus courtes et douloureuses.
Le chrono file, les projections sur le temps total de course s’effondrent, l’objectif se dérobe et les sensations s’affaissent ! La chute est dure !
Seule consolation : en général, on n’est pas seul dans ce cas, et l’on se retrouve à marcher avec quelque compagnon d’infortune. On se sent même fort comparé à ces pauvres hères qui eux, ne peuvent même plus marcher, et sont contraints à l’arrêt total au bord de la route ou du chemin, perclus de crampes et de douleurs diverses !
Tant bien que mal, on rallie l’arrivée en se jurant que c’était le dernier, et on conclut par un récurrent : « c’est dommage, j’étais vraiment bien jusqu’à la mi-course … »

Déçu par quelques expériences de ce type, j’ai souhaité me rendre maître de mes allures, et ne plus être dépendant de cette contrainte : marcher quand on ne peut plus courir.

Deuxième approche : le domptage des pauses

Si donc on constate qu’à son niveau, un ultra se répartit entre deux allures, la marche et la course, n’y aurait-il pas intérêt à décider, au lieu de subir, des proportions réservées à chacune ?
On pratique couramment, à l’entraînement, la technique du fractionné qui permet à l’organisme d’encaisser des charges supérieures à celles qu’il est capable d’absorber en continu. Et si l’on essayait, en quelque sorte, de fractionner sa compétition pour obtenir un résultat similaire …
Pendant une année entière, j’ai expérimenté cette méthode pour essayer de définir des dosages permettant d’optimiser le couple course/marche.
Ces « tests » ont été réalisés sur des courses de 100 kilomètres et des 24 heures. Ils m’ont permis réaliser mes meilleures performances sur ces types d’épreuves.

C’est à chacun de trouver le bon mélange pour la meilleure carburation. Deux questions se posent :

En tâtonnant, j’ai trouvé des réponses personnelles, qui peuvent constituer pour vous des points de repère ou des indications.

La réponse à la deuxième question est la plus simple, car je me suis vite rendu compte qu’il était inutile de dépasser une minute de marche. Au-delà, il n’y a plus de gain significatif en terme de récupération.
N’oublions pas que l’objectif est d’aller le plus vite possible. Il ne sert donc à rien d’exagérer la durée de la marche. En fait, il faut la réduire au minimum. Il semblerait que la durée la plus « rentable » se situe autour de 45 secondes. C’est suffisant pour permettre une baisse importante du rythme cardiaque, un soulagement musculaire, et laisse même le temps pour se ravitailler.

La réponse à la première question est plus complexe. Comme pour le refroidissement du fût du canon, il faut « un certain temps ». En fait, celui-ci doit être individualisé, et doit même varier, à mon sens, selon le degré de forme de chacun.

Trouver son équation personnelle

La difficulté au début est de trouver le meilleur rythme, c’est à dire celui qui permettra de maximiser le temps de course. En effet, le but recherché est la performance personnelle.
On peut trouver ce rythme aux sensations, en testant différentes combinaisons lors des entraînements. Dans ce cas, il suffit de marcher dès que l’on n’est plus très à l’aise en course. Si l’on a un cardio, on peut l’utiliser avantageusement. Il suffit de connaître sa plage de pulsations correspondant à sa vitesse spécifique. Dès que l’on dépasse de plus de 5 pulsations la borne supérieure, on marche.
Par exemple, je suis à l’aise et en vitesse spécifique entre 130 et 140 puls. Dès que j’arrive à 145, je marche.
Pour les tests, on pourra aussi procéder par tâtonnements, avec des durées facilement repérables : je vous conseille 9/1, 14/1, 19/1, 24/1. Le 6/1 est à réserver au 24 heures.

J’ai réalisé mes meilleures performances avec les rythmes suivants :

D’autres combinaisons sont bien évidemment possibles, en fonction de son niveau. Choisissez quand même des rythmes faciles à contrôler : si vous envisagez d’alterner 13 mn 23 sec de course/48 sec de marche, bonjour les maux de tête !!! A réserver aux possesseurs de chrono haut de gamme !!!

Dans le cas de courses avec de forts dénivelés, le bon sens commande aussi de marcher de préférence dans les côtes. Garder donc de la souplesse et de la faculté d’adaptation …
L’idéal est bien sur de courir le plus longtemps possible, puisque l’allure est presque deux fois plus rapide.

S’adapter à l’épreuve

C’est une Lapalissade de dire que plus la distance ou la durée de la compétition augmente, et plus il faut s’économiser ! Cela se retrouve donc dans des allures spécifiques différentes suivant les épreuves préparées.
Ainsi, j’adopte moi-même les rythmes suivants :

Quoiqu’il en soit, il est important d’adopter son rythme dès le début de la course. Attendre plusieurs heures avant de commencer reviendrait au cas de figure du coureur jusqu’au-boutiste !
Il faut également intégrer cette pratique dans son entraînement. On peut ainsi tester et définir son propre rapport optimal, et s’habituer à ces changements d’allure.

Bénéfice secondaire : l’entraînement devient plus facile aussi ! En outre, cela permet de courir plus vite, donc de travailler plus efficacement son endurance. Ainsi on aura moins la sensation de « perdre sa vitesse » en s’entraînant pour l’ultra, et cela facilitera le retour sur des distances plus courtes.

Toutes les sorties dites de « vitesse spécifique » seront donc courues sur ce schéma. Ce qui est logique, puisque par définition, la vitesse spécifique est celle prévue pour la compétition préparée.

A qui cette méthode peut-elle profiter ? Quel gain espérer sur un 100 km ? Un simple calcul suffit !

Premier cas

Vous êtes parti sur votre 100 km à 10 km/h. Au bout de 6 heures, vous avez eu du mal, et vous avez beaucoup marché jusqu’à l’arrivée, disons la moitié du parcours. Votre allure de marche était de 6 km/h. Vous avez donc réalisé :

- 6 heures = 60 km

+ 20 km en 2 heures

+ 20 km en 3 heures et 20 minutes

soit un total de : 11 h 20 mn

Si vous aviez tenu un rythme de 9/1, vous auriez couru beaucoup plus !

Et donc, vous auriez couru plus : 93,75 km au lieu de 80 dans l’exemple jusqu’au-boutiste précédent !

En réalité, il serait sans doute supérieur, car j’ai constaté que la méthode permettait de courir plus vite, ainsi, vous auriez peut-être couru à 10,3 km/h plutôt qu’à 10.

Si l’on « vaut » moins de 8h30 sur 100 km, il est probable que l’on est capable de courir sans arrêt. Il est donc inutile de s’arrêter. Toutefois, il est probable qu’une pause marchée lors des ravitaillements pourrait amener un gain de temps.

Pour les autres, et notamment si vous « valez » plus de 10 heures, n’adoptez pas non plus cette méthode : vous finiriez devant moi …

Deux exemples personnels

J’ai réussi mes meilleures performances sur 100 km et 24 heures de cette façon. Pour me situer un peu, je suis un coureur moyen, n’ayant jamais réussi à atteindre le niveau FFA.
Départemental 1 sur semi (meilleure perf 1 h 29), ou sur marathon (meilleure perf 3 h 10).
Au 24 h de St Fons, je suis parti à environ 10, 5 km/h, avec un rythme de 6/1. J’ai pu tenir 6 heures sans problème. Pour les 6 h suivantes, je suis passé volontairement à 3/1 ! Puis à 2/1 sur le troisième quart, et enfin à 1/1 sur la fin. Résultat : 203,4 km, soit une perf Régional 1 !!!

Au 100 km des étangs de Sologne, j’ai fait les 6 premières heures à une moyenne de 11 km/h, sur un rythme de 14/1, soit 69 km. Puis j’ai terminé sur un rythme de 9/1, pour les 31 km restant, soit une moyenne de 10 km/h. Résultat : 9 h 07’ 59’’, soit une perf Régional 3.

Je ne fais que très exceptionnellement des sorties longues, et mes entraînements dépassent rarement 1 heure. Je ne suis donc pas particulièrement adapté à la longue distance. La seule conclusion est donc que c’est l’économie de course qui m’a permis de réaliser ces performances supérieures à mon potentiel théorique.

(Article paru dans Ultrafondus n°17, de novembre-décembre 2004)